A un mois du départ de la Transat Café L’Or, qu’il courra pour la deuxième fois de suite avec Audrey Ogereau, Erwan Le Roux participe cette semaine à Lorient aux 24h Ultim, dont la quatrième édition accueille 4 Ultim et 10 Ocean Fifty – départ de la course samedi matin. L’occasion de s’entretenir avec le skipper de Koesio, qui s’est par ailleurs beaucoup impliqué dans le projet de pôle de course au large à La Rochelle, où il s’est installé en 2024.
On t’a vu très actif ces derniers temps pour promouvoir le projet de pôle de course au large à La Rochelle qui semblait pourtant de nouveau abandonné l’an dernier, peux-tu nous dire ce qu’il en est ?
Il y a effectivement eu plusieurs projets, avec notamment des demandes de financement pour réaménager le site de Chef de Baie, qui – on connaît tous l’état des finances publiques – n’ont pas abouti. Ça n’empêche qu’il y a des infrastructures existantes, donc plutôt que de demander de l’argent public, j’ai été sonner à toutes les portes – communauté d’agglomération, CCI, port de pêche, port de commerce – pour voir quelles solutions on pouvait trouver pour que je m’implante avec mon bateau sur ce site. Et au fur et à mesure, je me suis rendu compte que quand je parlais d’opérationnel, il n’y avait aucun frein, à partir du moment où je ne demandais pas d’argent. Il en faudra certainement un jour si on veut développer un vrai pôle, mais, à ce stade, on parle d’une ambition, on n’est pas obligé de mettre 2 millions d’euros sur la table – le dernier budget qui avait été proposé. Aujourd’hui, on a juste besoin de libérer des terrains appartenant à la CCI pour installer nos hangars, moyennant bien sûr une AOT (autorisation d’occupation temporaire de l’espace public) pour poser un cadre d’utilisation.
Et tu as réussi à convaincre tes interlocuteurs ?
L’été dernier, on a pu faire le chantier du bateau sur un quai à Chef de Baie. Yannick (Bestaven), qui est dans la même démarche que moi, m’a alors dit : “Il faut que tu fasses un événement autour de ça pour interpeller les politiques, car ça n’est jamais arrivé d’avoir un chantier sur ce site.” J’ai alors envoyé des invitations pour la mise à l’eau le 4 septembre, et je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais une semaine avant, la CCI a libéré des terrains, la communauté d’agglomération a décidé de renforcer l’accueil des bateaux avec un futur deuxième ponton… Avant même mon allocution, on avait des réponses ! Du coup, le projet repart effectivement, j’ai eu cette semaine une première réunion avec la CCI pour définir les contours de mon futur bâtiment, c’est une vraie avancée, on devrait être en mesure de déposer une demande de permis de construire en début d’année prochaine !
C’est un stade nautique incroyable, qui n’existe nulle part ailleurs. Certes, la mer est marronnasse et c’est un site industriel, mais tu es dans un port en eaux profondes, avec un accès direct à la mer, sans chenal ni rade, et des conditions de navigation parfaites : le thermique rentre à 13h, et à 15h, tu as 18-20 nœuds. L’endroit serait d’ailleurs juste parfait pour accueillir SailGP avec la possibilité d’installer des gradins, il y a un potentiel exceptionnel. L’ambition n’est pas d’avoir dix Imoca dans deux ans, mais plus de dire aux marins et équipes que, s’ils ont un projet sérieux, il y a aujourd’hui de l’espace pour les accueillir avec la possibilité de construire des hangars, ce qui existe de moins en moins en Bretagne Sud. Et il y a un autre paramètre non négligeable, c’est que ça peut créer un appel d’air pour les jeunes qui naviguent et/ou font leurs études à La Rochelle. Jusqu’ici, il n’y avait pas d’avenir sur place pour eux, alors que si on accueille de plus en plus de projets, ça va leur donner des perspectives ; d’ailleurs, depuis début septembre, je reçois beaucoup de candidatures.
“Gagner la Route du Rhum en 2030”
Complètement. Mon ambition est clairement d’arrêter de courir d’ici un, deux ou trois ans, pour monter une écurie de course et accueillir plusieurs projets à Chef de Baie. Idéalement, je verrais bien un Imoca de deuxième division au départ du Vendée Globe 2028, potentiellement un ou deux Class40, un ou deux Figaro et un ou deux Mini, et bien sûr Audrey (Ogereau) en fer de lance en Ocean Fifty. Aujourd’hui, on a un partenariat avec Koesio jusqu’à fin 2026, on verra de quoi sera fait la suite, mais on voudrait garder le bateau et trouver de l’argent pour qu’elle puisse continuer. Car l’objectif pour elle, ce n’est pas de gagner la Route du Rhum en 2026, mais d’être au départ et terminer, par contre, ça serait de gagner en 2030, je suis persuadé qu’elle en a les capacités. Maintenant, on ne veut pas lui mettre la pression, on l’accompagne dans cette direction et elle aura toujours le droit de dire non, je suis bien placé pour mesurer la charge mentale et l’engagement qu’implique une transat en solo sur ce genre de bateau, c’est dur de naviguer pendant dix jours avec l’écoute à la main !Aujourd’hui, la sens-tu capable de mener ton Ocean Fifty en solo ?
Si tu lui poses la question, elle te répondra non. Parfois, elle me dit qu’elle aimerait bien connecter un disque dur à mon cerveau et faire une sauvegarde pour que la transmission se fasse plus vite. C’est difficile, parce que pour des raisons financières, elle ne peut pas être à 100% avec nous, donc on doit essayer de maximiser le temps passé ensemble. Maintenant, il ne faut pas chercher à brûler les étapes, on a une feuille de route pour lui faire gravir les échelons et l’objectif est qu’elle soit prête pour la Drheam-Cup en juillet prochain [qualificative pour la Route du Rhum, NDLR] et donc pour la Route du Rhum trois mois plus tard.
Avant cela, il y a les 24h Ultim ce week-end et surtout la Transat Café L’Or fin octobre, peut-on dire que vous faites clairement partie des favoris ?
Oui, on peut le dire : on est premiers au classement des Ocean Fifty Series, ça veut dire qu’on a bien marché sur les premières épreuves de la saison, on va essayer de garder ce niveau de performance. Maintenant, une transat, c’est un exercice différent et il faut d’abord terminer, ce qu’on n’a pas réussi à faire en 2023. La plus grosse bataille, elle va donc être contre nous-mêmes, il faut bien fiabiliser le bateau, trouver les bons réglages et le bon curseur d’attaque, contrairement à la dernière édition où on avait trop bourriné, ce qui nous avait valu de ramener le bateau au port. Si on arrive à faire une belle trajectoire, à prendre du plaisir et à finir, on ne sera sans doute pas loin d’un bon résultat.
Photo : Vincent Olivaud