Ultim : le sans-faute de SVR-Lazartigue
Si certains de nos experts ne se sont pas passionnés pour la course en Ultim en raison d’une flotte réduite à quatre bateaux et peu de suspense, ils s’accordent à dire que le vainqueur, SVR-Lazartigue, a livré une “copie vachement propre, avec, dès le départ, les bons bords, la bonne vitesse et les bons choix”, résume Yves Le Blevec. Et ce dernier d’ajouter : “On voit que ces bateaux sont longs à mettre au point, SVR a été lancé en 2021 et au bout de quatre ans, arrive à quelque chose d’abouti. Leur gros atout, c’est qu’ils vont très vite au près – l’aéro est assez fondamentale – alors qu’au portant, il y a beaucoup moins d’écart entre les bateaux.”Si cette victoire a semblé de l’extérieur plutôt aisée, Pierre-Marie Bourguinat tient à rappeler : “Tout a l’air facile derrière la carto, la trace est très belle, on a l’impression que ça déroule, mais pendant les vacations, Franck Cammas a insisté plusieurs fois sur le niveau de tension nerveuse qu’engendrent ces bateaux, notamment au portant dans de l’alizé soutenu. Benjamin Schwartz me disait la même chose : ils sont à la limite de la tranche tout le temps.”
Et Sodebo Ultim 3 ne termine finalement que 4 heures et demie derrière le vainqueur, ce qui fait dire au journaliste : “Il a manifestement comblé une partie de son déficit de vitesse par rapport aux autres, mais peut-être au prix d’une débauche physique plus forte que SVR, qui a, à certains moments, navigué avec un poil plus de sécurité. Je pense que Thomas et Benjamin sont allés très loin dans l’exigence personnelle en termes de multiplication de manœuvres.”
Quid d’Actual Ultim 4, troisième ? “On aurait pu s’attendre à les voir un peu plus devant, mais je pense qu’Anthony (Marchand qui a récupéré l’ex Maxi Edmond de Rothschild l’été dernier) et Julien manquent encore de connaissance du bateau, ils sont en phase d’apprentissage.” Yves Le Blevec ajoute : “C’est un bateau qui a été vachement développé jusqu’au Rhum 2022. Depuis, il avait été exploité et entretenu, mais sans doute un peu moins optimisé, car le Gitana Team s’est concentré dans le même temps sur le futur Gitana 18. Pendant ce temps, les autres équipes ne nous ont pas attendus. Maintenant, on a déjà commandé des évolutions que vous verrez apparaître courant 2026 et on est en train de travailler sur la validation de ce qui sera implanté en 2027, tout ça prend du temps.”
Ocean Fifty : un podium « old school »
Si la Transat Café L’Or avait mal démarré pour les Ocean Fifty, avec trois chavirages la première nuit, elle a passionné nos experts, avec une lutte indécise jusqu’au bout et quatre bateaux qui terminent en moins de 45 minutes à Fort-de-France. Le suspense pour la victoire n’aurait peut-être pas été aussi intense si Edenred (Basile Bourgnon/Emmanuel Le Roch) n’avait pas subi une avarie dans la nuit de lundi dernier qui l’a empêché d’utiliser son grand gennaker, indispensable dans l’alizé, sur un bord. “Le bateau est un peu jeune (mis à l’eau en juillet), il y a forcément des choses qui cassent, pour moi, il faut au moins 12 à 18 mois pour qu’un Ocean Fifty arrive vraiment à maturité“, note Matthieu Souben. “Ça fait partie du sport, mais on a quand même vu qu’Edenred avait un plus en vitesse, quand ils ont voulu accélérer, ils sont vite passés devant”, ajoute Erwan Tabarly.A l’arrivée, c’est Viabilis Océans (Baptiste Hulin/Thomas Rouxel) qui s’est imposé, avec 17 minutes d’avance sur Wewise (Pierre Quiroga/Gaston Morvan) et 27 sur Le Rire Médecin-Lamotte (Luke Berry/Antoine Joubert), des bateaux mis à l’eau en 2017 pour les deux premiers (plans VPLP), en 2009 pour le troisième (plan Verdier). “Ça veut dire que les règles sont suffisamment bien faites pour qu’il n’y ait pas de course à l’armement et qu’on peut rester compétitif à l’échelle d’une transat avec des bateaux qui ne sont pas de dernière génération”, constate Matthieu Souben, vainqueur sur le bateau de Luke Berry en 2021 (avec Sébastien Rogues).
Comment Viabilis Océans, qui a accusé jusqu’à 200 milles de retard en début de course sur la tête de flotte suite à son arrêt à L’Aber Wrac’h (grand-voile déchirée), a-t-il réussi à l’emporter ? En bénéficiant du resserrement de la flotte au niveau des Canaries, puis, selon Pierre-Marie Bourguinat, “en montrant de grosses qualités de vitesse quand l’alizé a commencé à rentrer, c’était celui qui tenait le mieux le rythme infernal d’Edenred.”
“Je pense que le fait de revenir dans la meute, en termes de moral et de niaque, leur a donné un petit plus”, observe Matthieu Souben, qui ajoute, à propos du sprint final, qui a vu Viabilis privilégier une route plus sud que ses rivaux : “Mon sentiment, c’est qu’il y avait toujours du gain à celui qui était un peu plus sud. A la fin, ils refont un tout petit recalage, je pense qu’ils gagnent là-dessus, ça leur a permis de jeter les épaules devant, ils ont été incisifs jusqu’au bout.” Cette victoire récompense deux hommes discrets, Baptiste Hulin et Thomas Rouxel, dont Pierre-Marie Bourguinat dit : “Baptiste est inconnu du grand public, mais il commence à avoir une solide expérience du large, quant à Thomas, c’est un marin très talentueux, excellent barreur, qui, venant de l’Ultim (il a navigué plusieurs saisons sur Sodebo Ultim 3) a l’habitude de ces transats à haute vitesse.”
La victoire n’est pas passée loin pour Wewise, qui a favorablement impressionné Dominic Vittet : “Pierre et Gaston ont utilisé tout leur savoir-faire de figaristes pour bien « démancher », c’était magnifique. Je pense qu’ils font une boulette en passant dans le dévent de Lanzarote et au milieu des îles du Cap Vert, mais pour des gens qui n’ont pas tant de transats que ça dans les pattes, ils ont fait preuve d’une maturité exemplaire pour reprendre la tête à un moment.”
Imoca : Charal le plus fort
Quatorze ans après s’être imposé aux côtés de Jean-Pierre Dick, Jérémie Beyou renoue avec la victoire sur la transat en double, vainqueur sur un Imoca qui a bluffé nos experts. “Ils ont trouvé un truc. Auparavant, Charal n’avait pas cette aisance au portant dans 20 nœuds, c’est rare d’être aussi radical dans les progrès”, constate Yves Le Blevec. Pour Pierre-Marie Bourguinat, le plan Manuard “a manifestement passé un cran ; avant, c’était un bateau intermédiaire, moins rapide que Macif au près dans les petits airs et que les KFC (Koch Finot-Conq) dans la brise au portant ; là, il a été sur un compromis plus efficace que tout le monde, en naviguant plus bas plus vite.”Interrogé sur ce petit truc en plus dans Pos. Report de mardi dernier, Nicolas Andrieu, directeur technique de BeYou Racing, répondait : “C’est une somme de petites choses, sachant que tout ce qu’on a fait cette année en développement était orienté pour cette transat. Compte tenu du passage obligé aux Canaries, on savait qu’il y aurait une forte composante de portant dans du vent médium, on a travaillé pour ces conditions.”
“Le petit quelque chose en plus, c’est peut-être Morgan“, sourit quant à lui Matthieu Souben à propos d’un marin qui remporte la transat pour la troisième fois de suite en Imoca (les deux précédentes avec Thomas Ruyant). Erwan Tabarly abonde : “C’est la personne, avec Franck Cammas, qu’il faut embarquer pour gagner. C’est une obsession pour lui d’aller plus vite que le bateau d’à côté, et il barre super bien. Sur les courses en double, ça apporte vraiment quelque chose d’avoir un gars capable de faire bien avancer le bateau en passant des heures à la barre.” Et Erwan Tabarly d’ajouter, à propos de Jérémie Beyou : “Ça fait longtemps qu’il court après une grande victoire, il n’est pas passé loin à plusieurs reprises, celle-ci va lui faire du bien, d’autant que c’est propre et net.”
Si Charal était attendu sur le podium, la surprise vient de la deuxième place de Francesca Clapcich, première femme à monter sur le podium en Imoca depuis Ellen MacArthur en 2005, et Will Harris. “Quand ils ont passé la dorsale aux Canaries, je me suis dit qu’ils avaient réussi un joli coup, mais je m’attendais à ce qu’ils se fassent rattraper sur la traversée, et en fait pas du tout. A part Charal, ils ont réussi à tenir, notamment face à Macif qui est quand même une référence”, admire Erwan Tabarly. Qui ajoute : “Will connaît le bateau par cœur, il a fait toutes les nav’ depuis deux-trois ans, et le duo avec Francesca a l’air d’avoir bien fonctionné.”
Class40 : bataille nord/sud
Si on connaît les vainqueurs pour trois des quatre classes en lice sur la Transat Café L’Or, le suspense devrait durer encore une bonne semaine pour les Class40. Repartis samedi dernier de La Corogne après une première étape remportée par SNSM Faites un don (Corentin Douguet/Axel Tréhin), les 40 pieds se sont scindés en deux groupes, “deux salles, deux ambiances“, sourit Yves Le Blevec. “C’est le vrai choix stratégique de la transat, observe Dominic Vittet, avec d’un côté un paquet qui s’est très vite positionné pour rester sur l’orthodromie (la route directe) et affronter la tempête pour passer au ras des Açores, avant d’aller chercher la bascule de nord-ouest derrière. De l’autre, la plus grosse partie de la flotte qui a estimé cette route plus compliquée, parce que c’est du près et du mauvais temps, donc ils ont préféré aller chercher le portant au sud, mais en rallongeant la route.”Le groupe nord est mené par SNSM Faites un don, le sud par les deuxième et troisième à La Corogne, Seafrigo-Sogestran (Guillaume Pirouelle/Cédric Chateau) et Amarris (Achille Nebout/Gildas Mahé), ce qui rend d’autant plus intéressante cette bataille stratégique. Dans quel camp peut-elle pencher ? “Pour l’instant, on ne sait pas et ça peut durer un moment, répond le même Dominic Vittet. La question est de savoir à quel moment ceux du nord vont pouvoir croiser au sud. Est-ce que la bulle anticyclonique va se décaler vers l’est et leur permettre de trouver un trou de souris pour profiter de la bordure ouest de l’anticyclone et replonger ? C’est l’incertitude.”
Photo : Jean-Marie Liot / Alea