Guillaume Verdier, architecte naval
5 mars 2015, Lorient. “La mise à l’eau de Safran 2 (conçu par Guillaume Verdier, avec VPLP, NDLR), qui fait partie de la première génération d’Imoca sur lesquels on a introduit des foils. Ce n’était pas gagné de faire marcher des foils sur un monocoque au large, on n’était pas du tout sûrs du tout d’y arriver. On avait fait des essais concluants sur un Mini avec le Team Banque Populaire, on avait vu sur les calculs que c’était efficace, avec des écarts de 2,5 nœuds avec les bateaux à dérives dans certaines conditions, mais entre la réalité et la pratique, il y avait pas mal d’incertitudes. Est-ce que ça passerait dans les vagues ? Est-ce que les skippers allaient réussir à les mener ? On ne savait pas trop, et en fait, on a assez vite vu que ça marchait.
Suite à ça, on a réussi à voler en multicoque au large dans des conditions de mer formées. On avait dessiné un foil pour le MOD70 Gitana XV, ils étaient hyper contents parce que le bateau volait, par contre, il n’était pas stable du tout. J’avais alors proposé de mettre un autre point d’appui, une aile de raie ou un énorme élévateur sur le safran, ils ont construit l’aile de raie qui a été montée sur Maserati après le rachat du bateau par Giovanni Soldini, et ça a tout de suite fonctionné. Ce qui a ensuite débouché sur Gitana 17, le bateau abouti pour aller au large, capable de voler avec de la stabilité dans trois-quatre mètres de creux. Finalement, cette décennie aura été marquée par le développement du vol au large.”
Patricia Brochard, co-présidente de Sodebo
25 décembre 2016, Brest. “L’arrivée de Thomas (Coville) de son tour du monde en solitaire, avec le record à la clé (49 jours 3 heures, 7 minutes), le jour de Noël, c’était un beau cadeau du ciel. Mais au-delà de ce record, ce qui était important, c’était tout ce qu’on avait vécu en amont. A la fois de succès, puisqu’on a commencé avec Thomas par une victoire (sur la Transat Jacques Vabre 1999 en monocoque) et qu’on avait gagné d’autres courses, mais aussi de difficultés. Là, cela faisait un petit moment que c’était compliqué, notamment après l’accident sur la Route du Rhum 2014 (collision avec un cargo) et on avait mis des choses en place en travaillant différemment. Finalement, tout ça nous a conduits à cette victoire qui avait une saveur inégalée.
J’ai des images en tête de l’arrivée avec les jets d’eau de L’Abeille Bourbon devant le bateau et le monde incroyable qui attendait Thomas sur les quais à Brest, c’était une émotion très particulière. C’était aussi une bonne illustration du fait que si tu acceptes d’aller chercher les causes des moments difficiles et de les travailler, c’est toujours possible de se relever et de trouver une porte de sortie, en l’occurrence, c’était un succès éclatant. Mais aussi un bon apprentissage de la vie. La voile, ça exacerbe tout, car on vit des situations extrêmes dans des temps courts, mais qu’on peut transposer dans se vie de tous les jours.”
Clarisse Crémer, skippeuse
17 décembre 2017, Brest. “L’arrivée de François Gabart pour son record du tour du monde en solitaire sur Macif. Je venais juste de finir la Mini Transat (deuxième en série), j’avais été invitée par TBS, qui était aussi partenaire de François, et j’avais suivi son retour à Brest sur une vedette. Ça m’avait marquée et émue, parce que faire le tour du monde en solo sans bateau autour, c’était quelque chose de rare, pas grand monde ne tentait ce truc. Et c’est un record (42 jours 16 heures 40 minutes et 35 secondes) dont on ne parle pas si souvent qui est un exploit maritime assez dingue. Quand je pense que Guirec (Soudée) va se lancer dans l’autre sens, c’est un autre délire !”
24 juin 2018, La Haye. “L’arrivée victorieuse de Dongfeng Race Team sur la Volvo Ocean Race, un moment de stress comme j’en ai rarement connu ! Conseillée avant le départ de Göteborg par notre routeur Marcel Van Triest, l’équipe (menée par Charles Caudrelier) prend une option le long de la côte danoise, si ça passe, ça paie, mais pas de beaucoup. Quelques heures avant l’arrivée, c’est tellement stressant que j’arrête de regarder la carto, on monte dans un zodiac pour aller suivre les derniers milles, et c’est là que je reçois un texto de Franck Cammas qui était chez lui et me dit : “Je pense que ça va le faire”. Je regarde à gauche, je vois un bateau rouge (Mapfre), et à droite, le long de la côte hollandaise, un autre bateau rouge, le nôtre. Je me dis : “C’est quoi ce truc ?“Et finalement, on arrive un quart d’heure devant, ça a été un moment très fort, l’accomplissement d’un travail que j’avais entamé en 2013. Ce n’était pas juste moi, mais toute une équipe qui réussissait, avec un projet atypique, sous les couleurs de la Chine, et donc un équipage international, dont des Chinois, qu’on devait faire progresser. On était des outsiders, parce qu’on ne rentrait pas dans les normes de la Volvo à ce moment, le fait de gagner against all odds, comme on dit en anglais, correspondait aussi beaucoup à mon parcours. J’ai ressenti beaucoup d’émotion, ce résultat montrait aussi que la diversité était tout à fait possible pour gagner, ça remettait un peu les pendules à l’heure.”
18 septembre 2019, Lorient. “La première fois, que, sur mon écran de PC, j’ai vu voler des AC75 de façon stable et saine, en équilibre sur leurs foils, et aller à des vitesses incroyables, plus vite encore que les multicoques, alors que nous avions l’habitude de dire que ces derniers étaient les bateaux conceptuellement les plus rapides. A la fin de l’America’s Cup 2017, Team New Zealand, en beau vainqueur sur des catamarans de 50 pieds incroyablement efficaces avec leurs foils et les ailes rigides, annonce que la prochaine édition se courra en monocoques. La majorité des gens disaient qu’on faisait machine arrière.On savait que le choix des Kiwis était contraint par leurs supports historiques et les financeurs de la Coupe (notamment Luna Rossa et Patrizio Bertelli), certains pensaient qu’on allait revenir aux monocoques comme on les connaissait dix ans auparavant, les Class America, certes esthétiques et menés par de gros équipages, mais qui dépassaient péniblement les 13 nœuds. Et en fait, l’équipe de design de Team New Zealand, avec notamment Guillaume Verdier, a répondu à cette contrainte politique en proposant un bond technologique incroyable, avec ce concept de monocoque volant. On a alors observé, incrédules, les premières esquisses de ces bateaux après la sortie des règles de jauge, avant, un an plus tard, de les voir naviguer quasiment comme ils avaient été présentés sur les simulateurs et les images 3D. Une nouvelle révolution, au niveau de celle de la Coupe en multicoque de 2013, bravo !”
Francesca Clapcich, skippeuse
1er juillet 2023, Gênes. “L’un des moments forts a sans aucun doute été de devenir la première Italienne à remporter The Ocean Race en 2023 (sous les couleurs de 11th Hour Racing), avec une arrivée à Gênes, dans mon propre pays, où je suis née et où j’ai grandi. Ma famille était là, ma mère, ma femme et ma fille, beaucoup de mes amis aussi, le fait de partager ce moment avec eux m’a procuré un sentiment particulier, c’est probablement mon meilleur souvenir ! J’ajouterais quand même dans les souvenirs marquants le fait de terminer il y a deux semaines la Transat Café L’Or en deuxième position pour la première course de ma propre campagne ! C’était la première fois que je naviguais en double sur un Imoca avec Will Harris, finir sur le podium d’une transat aussi historique a été vraiment mémorable et la récompense de tout le travail que nous avons accompli pendant un an et demi pour trouver des partenaires et construire ce projet, avec toute une équipe pour me soutenir.
J’ai 37 ans, si je me retourne en arrière, il y a dix ans, je faisais encore de la voile olympique avant les Jeux de Rio. Depuis, il y a eu The Ocean Race, la Coupe de l’America féminine et maintenant ce projet pour le Vendée Globe en 2028. C’est assez spécial d’être encore être assez jeune et d’avoir eu toutes ces opportunités. Je fais partie des rares marins à pouvoir dire qu’ils ont pratiqué différents types de voile et obtenu des résultats historiques ces dix dernières années. Pour moi, c’est une motivation et une grande fierté. Et j’espère inspirer la nouvelle génération à faire de même, voire mieux.”
Charlie Dalin, skipper
7 janvier 2024, Brest. “Le départ de l’Arkea Ultim Challenge. D’abord pour des raisons personnelles : j’avais renavigué un peu sur mon Imoca Macif au mois de décembre, je n’avais pas encore fait mon scanner suite au début de mon traitement (pour son cancer), mais je sentais que ça allait mieux, donc en assistant à ce départ, je commençais à me dire que j’allais moi aussi pouvoir faire un tour du monde l’hiver d’après sur le Vendée Globe (qu’il gagnera en dépit de sa maladie) et peut-être même un jour cette course en Ultim.
Ensuite, parce que le spectacle avait été incroyable. Il faisait froid mais super beau à Brest, j’étais sur un semi-rigide de l’équipe SVR-Lazartigue pour suivre le départ, au milieu des bateaux qui se sont élancés assez tranquillement, avant, pas longtemps après, de toucher du vent de nord. Tous sont alors passés en mode volant sur leurs foils, pas un ne touchait l’eau, c’était vraiment incroyable de voir ces bateaux volants partir autour du monde en solitaire. Ce jour-là, j’ai retrouvé mes yeux d’enfant, j’étais émerveillé, comme quand je suivais les courses quand j’étais plus jeune, c’était vraiment magique.”
Charles Caudrelier, skipper
6 février 2024, cap Horn. “Le passage du cap Horn avec le Maxi Edmond de Rothschild en tête de l’Arkea Ultim Challenge, c’était au-delà de tout ce que j’avais pu imaginer quand j’ai commencé ma carrière. Je rêvais du Rhum, du Trophée Jules Verne et des grands multicoques, mais jamais je n’aurais imaginé que, vingt ou trente ans plus tard, je passerais le cap Horn en solitaire sur un bateau volant de cette taille, d’autant que c’était une grande première pour un trimaran dit volant, il y avait un côté un peu historique. En plus, c’était un cap Horn comme on n’en connaît pas beaucoup : de jour, sous le soleil, je suis passé au ras. J’avoue que je me suis bien lâché, j’ai versé une larme, ce qui ne m’arrive quasiment jamais, je me suis dit que c’était un privilège énorme de vivre un tel moment sur un tour du monde en solitaire, qui est quand même quelque chose d’assez exigeant.
D’autant que j’avais dû attendre quelques jours à faire des ronds dans l’eau avant d’arriver au Horn (pour laisser passer une violente dépression), ce qui ne m’était jamais arrivé en course. Je ne suis pas quelqu’un de très contemplatif, mais là, au milieu du Pacifique, j’avais ressenti des émotions hyper fortes à prendre soin du bateau, à être en fusion avec lui, ça avait donné encore plus de valeur à ce cap Horn. En plus du fait que les derniers jours avant de le passer avaient été très durs, avec un trou dans mon bateau, c’était la première fois que je m’étais senti aussi vulnérable.”
Charline Picon, athlète olympique
2 août 2024, Marseille. “On me demande souvent de choisir entre ma médaille d’or de Rio (en planche RS:X) et ma médaille de bronze de Paris (en 49er FX), je vais parler de celle de Paris. Parce qu’on n’était pas du tout attendues. A Rio, j’avais ce statut de favorite que j’ai assumé et qui m’a procuré une émotion magnifique, mais cette médaille en 49er FX est vraiment particulière dans le sens où, quand on lance ce projet trois ans plus tôt, je ne sais pas du tout ce qui m’attend, ce que c’est ce bateau et le fait de naviguer à deux. Quant à Sarah (Steyaert), elle sort de cinq ans de pause maternité. Au début, on nous suit sur ce projet, peut-être parce qu’avec mes deux médailles (également argent à Tokyo en RS:X), on ne peut pas me dire non, mais je ne sais pas si quelqu’un y croyait vraiment.
Les trois années ont été difficiles, on s’est accrochées, j’ai découvert la force du duo, et avec Sarah, on a réussi à trouver notre liant, notre point commun, c’était l’émotion. Je me souviens que la première fois qu’on part à l’eau, avant de passer devant nos supporters, nos amis et notre famille, je dis à Sarah et Phiilppe Mourniac, le directeur de l’équipe de France : “On va chialer“. Tu peux te dire que le fait de te laisser envahir par l’émotion est une marque de faiblesse, mais pour nous, c’était OK, on savait que c’était important de passer cette étape et de partager cette émotion d’être aux JO, c’était hyper puissant. Et le moment le plus fort, c’est quand, après avoir coupé la ligne de la Medal Race, alors qu’on a rétrogradé de la deuxième à la troisième place, Sarah vient de dire, que si elle avait été seule sur son Laser, elle aurait été déçue, mais que là, grâce à moi, elle a vécu un truc complètement fou. De mon, côté, je voulais tellement vivre cette émotion de la ligne d’arrivée en étant médaillée, que quand je la passe, je hurle, un cri bestial, puis j’embarque Sarah dans l’eau, le délire absolu ! Remporter la médaille olympique en trois ans sur ce support, vu d’où on venait, c’était incroyable, on a montré que rien n’était impossible.”
Violette Dorange, skippeuse
10 novembre 2024, Les Sables d’Olonne. “Le départ du Vendée Globe, c’était l’aboutissement d’un projet un peu fou. On ne s’est pas rendu compte à quel point ça allait être difficile de trouver des sous, il a fallu s’accrocher mentalement, mais finalement, en ne lâchant rien, on a réussi à s’en sortir au dernier moment. Cette journée ponctue ces quatre ans de boulot, avec une dernière année complètement en vrac, on termine 39e de la course aux milles !
Le départ en lui-même a été hyper émouvant, je me souviendrai toute ma vie du circuit, ça avait commencé par l’attente dans l’espace technique. Comme j’étais la dernière à partir, je voyais tous les autres défiler dans le chenal sur le grand écran. Ensuite, j’étais passée devant tous les journalistes qui me posaient tous la même question, avant la descente du ponton, le trophée au bout, Alan (Roura) et Conrad (Colman) sur le point de partir, mon bateau avec mon équipe à bord, les amarres dans la main, ma famille, mes amis, tout le public en surplomb, c’était magique. Et la sortie du chenal était incroyable, j’ai dû pleurer d’émotion du moment où j’ai quitté mon appartement jusqu’au bout du chenal, c’était complètement dingue ! La première fois, ça marque à vie.”
Les 10 ans de Sailorz, ce qu’ils/elles en disent.
En plus de raconter leurs souvenirs marquants de la décennie passée, plusieurs de nos grands témoins ont évoqué le dixième anniversaire de Sailorz. “10 ans ? C’est beaucoup !, s’exclame au milieu de l’Atlantique Violette Dorange, qui avait 14 ans lorsqu’est sorti le premier numéro. Sailorz, c’est vraiment le média spécialisé n°1, on apprend toujours énormément de choses en vous lisant, et les podcasts sont magiques, avec les retours d’expérience de super grands marins, tout le monde a une histoire à raconter, pas seulement les plus médiatisés !”
Même inspiration dans les podcasts chez Charles Caudrelier : “J’apprécie le fait que le fait que vous vous entouriez d’experts, mais aussi que vous laissiez le temps aux marins de s’exprimer avec vos podcasts. J’ai d’ailleurs été le tout premier invité d’Into The Wind, je me souviens qu’à l’époque, on avait fait une heure et demie et Pierre-Yves (Lautrou) m’avait dit : “On a été beaucoup trop long, il faut qu’on fasse moins d’une heure !” Et j’ai vu qu’après, il y en a qui ont beaucoup plus abusé que moi !” Jusqu’à 6 heures avec Thomas Coville…
Charline Picon trouve “super de mettre en avant cet univers particulier de la voile de compétition et de le faire découvrir au plus grand monde”, tandis que Bruno Dubois ajoute : “Il y avait une place dans l’environnement voile pour une structure telle que Sailorz, très différente de ce qu’on a connu par le passé, avec un média qui propage l’expérience et la diversité française en voile, pas juste en France, mais dans le monde entier.”
Souvent à l’étranger et parfois “déconnecté de l’actu”, Guillaume Verdier se félicite “d’avoir un média qui permette de se tenir au courant de ce qui se passe, mais aussi un vrai réseau social de la voile qui met en relation les gens grâce aux petites annonces”, tandis que Patricia Brochard conclut : “Votre parcours est hyper intéressant, vous êtes partis d’une newsletter, à deux, qui est devenu un véritable succès. C’est parce que vous avez réussi à trouver une réponse à des besoins que vous êtes petit à petit devenus des incontournables.”
Vous aussi, vous avez un souvenir ou un message à adresser à Sailorz pour ses dix ans ? il suffit de répondre à ce mail !
Photos : Yann Riou / Gitana — Yvan Zedda / Macif — Mark Lloyd / Alea — Yvan Zedda / Banque Populaire — Alexander Champy-McLean / Orient Express Racing Team — Sailing Energy — Ainhoa Sanchez / Volvo Ocean Race — Sailing Energy / The Ocean Race — Alexis Courroux / Arkea Ultim Challenge Brest — Yvan Zedda / Sodebo