Le départ de la 80e édition de l’emblématique Rolex Sydney Hobart sera donné le 26 décembre prochain. Ces dix dernières années, des marins français ont participé à cette épreuve, souvent avec succès. Pour Sailorz, cinq d’entre eux témoignent : Alexis Loison, Corentin Douguet, Quentin Vlamynck, Frédéric Puzin et Éric de Turckheim.
Le rendez-vous est immuable depuis 1945. Tous les 26 décembre, Boxing Day férié dans de nombreux pays anglophones, une centaine d’équipages s’élancent sur la Rolex Sydney Hobart, pour un parcours de 628 milles entre la Nouvelle-Galles du Sud et la Tasmanie. Pour les marins locaux, c’est LE grand événement de l’année, mais la fascination pour cette épreuve du bout du monde est également partagée, et de longue date, par des navigateurs français qui ont été nombreux à effectuer le long voyage pour y participer.
“C’est une course de légende, à faire au moins une fois dans une vie de marin“, s’enthousiasme Corentin Douguet, vainqueur il y a un an en IRC double et IRC 4 avec l’Australien Rupert Henry. “Quand j’étais gosse, à la bibliothèque, je lisais un livre sur la Sydney Hobart et j’étais fasciné par cette course déjà mythique. Quand j’ai eu l’opportunité d’y participer, en 2019, je n’ai pas hésité. C’était l’aboutissement d’un rêve”, raconte de son côté Frédéric Puzin, patron de Corum L’Épargne – sponsor de Nicolas Troussel de 2018 à 2023 – et marin aguerri. Quentin Vlamynck, vainqueur l’an dernier en IRC 3 avec l’équipage de Cocody, souligne que l’épreuve s’insère bien dans le calendrier. “La période de Noël est souvent off dans la course au large en France. C’est un moment de l’année plus tranquille, les bateaux sont en chantier et on peut se permettre d’aller naviguer ailleurs pour apprendre autre chose.”
Prendre part à la Sydney Hobart, c’est s’offrir un dépaysement total, avant même le départ. Fin connaisseur de l’épreuve – il y participe cette année pour la sixième fois, en IRC double avec l’Australienne Jiang Ming, et était également à bord de Cocody en 2024 -, Alexis Loison décrit même “un choc des cultures“. Il se remémore une édition courue avec un équipage australien : “Nous avions des approches complètement différentes dans la gestion du bateau et de l’équipage. C’était parfois perturbant. Par exemple, pour rouler le Code 0, je suggérais d’abattre en grand pour préserver la voile. Pour eux, c’était hors de question. L’incompréhension est parfois réciproque : quand ils voient le Vendée Globe ou nos maxi-trimarans, ils nous prennent pour des fous.”
“Un spectacle vraiment phénoménal”
L’incursion en Australie est toujours appréciée, alors que l’hiver sévit en France métropolitaine. “On se retrouve en short et en claquettes, à parler anglais. C’est très sympa car nous sommes quasiment tous dans la même marina, à part les gros bateaux, confirme le vainqueur de la Solitaire du Figaro Paprec 2025. Habituellement, je ne suis pas fan des grandes villes. Tu me mets à Paris, je suis malheureux, mais à Sydney aucun problème ! Il y a le soleil, la mer, les plages, le surf, la rando… C’est très agréable. La baie offre un plan d’eau incroyable. En partant s’entraîner une demi-journée, on peut croiser des Moths à foil, un F50 de SailGP, le maxi Comanche qui rentre d’entraînement… Et tout cela au milieu des bateaux de croisière, des ferries, ça fait vraiment du monde sur l’eau.”Ce dynamisme de la baie est exacerbé le jour du départ. De fait, la Sydney Hobart est une course très populaire en Australie, avec un suivi médiatique d’ampleur. “Cet événement n’intéresse pas seulement les fans de voile. C’est un peu comme le Vendée Globe ou la Route du Rhum chez nous, résume Corentin Douguet. Cela se ressent au moment du départ, il y a énormément de bateaux spectateurs. Comme la baie de Sydney n’est pas très grande, c’est vraiment intense de tirer des bords là-dedans !”
Alexis Loison ajoute : “C’est presque comme un stade, avec beaucoup de monde sur les rives. À chaque fois, je suis marqué par le bruit. L’année dernière, j’ai compté sept hélicoptères. Cela crée une ambiance particulière.” Éric de Turckheim, qui a pris trois fois le départ (vainqueur en IRC 3 en 2015), est lui aussi toujours impressionné par “le spectacle phénoménal, la baie de Sydney, c’est un peu comme le Solent au moment de la Fastnet Race : une sorte d’espace clos qui permet une très forte visibilité de la ligne de départ et de la sortie de toute la flotte.”
“On sait qu’on peut prendre cher”
Sur le parcours, les équipages s’engagent dans l’emblématique détroit de Bass, un bras de mer séparant l’Australie de la Tasmanie. “C’est une incursion dans les mers du Sud, où l’on ressent pleinement la puissance des éléments. On passe les 40e, on voit des albatros, décrit Corentin Douguet. L’année dernière, on a pris 30-35 nœuds, rien de dantesque, des conditions viriles mais correctes comme disent les rugbymen. Mais on sent bien qu’il y a de l’énergie, avec des effets d’accélération puissants. La légende de la course ne s’est pas construite avec des bruits de bistrot.”Pour Quentin Vlamynck, “le détroit de Bass est clairement l’endroit qui fait peur quand on part car les phénomènes météo peuvent être très violents, avec de brusques changements de vent. On sent que ça peut vite devenir catastrophique. Quand on s’engage comme équipier, on sait qu’on peut prendre cher, il faut être prêt à repousser ses limites.” Les récits de tempête sont nombreux. “Sur ma première Sydney Hobart, on a pris un énorme coup de vent, vraiment violent. Un mur nous est tombé dessus, se remémore ainsi Éric de Turckheim. Sur une autre édition, pas directement dans le détroit de Bass, mais en arrivant sur la Tasmanie, le vent est monté à 45 nœuds. Nous sommes partis en fuite pour essayer d’affaler le foc.”
Nos cinq témoins évoquent des conditions variées tout au long du parcours, avec une météo contrastée. “Tu pars avec ton chapeau et plein de crème solaire, et tu peux finir habillé comme si tu allais à la montagne, explique Alexis Loison. En Tasmanie, tu sens que tu n’es pas loin du “gros glaçon”. Par vent de sud, l’ambiance devient glaciale. Lors de ma deuxième participation, j’étais avec un équipage de Nouvelle-Calédonie, je pense qu’ils n’avaient jamais eu aussi froid de leur vie !”
Les Français brillent
Les coureurs français apprécient d’autant plus la Sydney Hobart qu’ils y décrochent souvent de bons résultats, avec des podiums, voire des victoires, la palme revenant à Eric Tabarly, le seul à avoir eu le privilège de la Line Honours, premier en temps réel en 1967 sur Pen Duick III. “La liste des personnes voulant y participer est longue, le problème c’est d’avoir les opportunités. Elles sont peu nombreuses car il n’y a pas énormément de bateaux inscrits, beaucoup moins que sur le Fastnet par exemple [133 inscrits pour la 80e édition, contre 444 pour le Fastnet 2025, NDLR]. C’est aussi un long voyage à entreprendre, mais quand un skipper professionnel français prend part à la Sydney Hobart, c’est souvent synonyme de victoire. Nous avons un savoir-faire qui nous apporte une réelle plus-value”, analyse Corentin Douguet.“Du fait de notre culture de la course au large, nous faisons évoluer nos bateaux de course-croisière, comme les JPK ou les nouveaux Sun Fast, c’est moins le cas à l’étranger, ajoute Quentin Vlamynck. Quand ça part au portant dans la brise, on prend de l’avance car les Australiens ont encore des bateaux pas très larges avec des spis symétriques. Ce sont de super marins mais ils sont parfois restreints par leurs montures.” Le mot de la fin est pour Frédéric Puzin : “Quand on y participe une fois, on ne pense qu’à une chose : revenir“.