Au terme d’un haletant suspense, Guillaume Pirouelle et Cédric Chateau, deuxièmes de la première étape de la Transat Café L’Or à La Corogne, ont remporté lundi dernier la deuxième à Fort-de-France, s’imposant au classement général en Class40, avec 7 minutes et 21 secondes d’avance sur le duo Corentin Douguet/Axel Tréhin (SNSM Faites un don !). Depuis la Martinique, les deux skippers de Seafrigo-Sogestran refont le match de l’étape.
La deuxième étape a donné lieu au bout de trois jours à une séparation de la flotte entre nordistes et sudistes, pouvez-vous nous expliquer comment vous avez fait le choix du sud ?
Guillaume Pirouelle : Il y a deux ans, on avait beaucoup trop hésité et le choix nord/sud ne nous avait pas trop réussi (ils avaient terminé 14e après avoir opté pour le sud). Du coup cette année, on avait travaillé la météo pour avoir plus de billes pour trancher. Sauf que là où il y a deux ans, le choix s’était fait 10 jours avant l’arrivée, là, c’était 14 jours, autant dire que les prévisions météo sur la fin ne valaient pas grand-chose. Il a donc fallu se pencher sur d’autres paramètres pour choisir.
Lesquels ?
Cédric Chateau : Même si, finalement, on a été d’accord, Guillaume était un peu plus route nord que moi. J’avoue qu’aller faire du près et du reaching face à SNSM qui était bien plus rapide que nous à ces allures ne me tentait pas trop. Je me disais qu’on pourrait aller faire un podium, mais sans doute hypothéquer nos chances de victoire contre des bateaux qui avaient des armes qu’on n’avait pas forcément. Alors que la route sud laissait la porte pour gagner plus ouverte.
G.P. : Deux-trois jours après le départ, on s’est retrouvés dans 45 nœuds alors qu’on pensait en avoir 30, on a eu peur de tout péter, ça a joué dans notre choix du sud, parce que ça n’a fait que nous confirmer ce qu’on voyait, à savoir qu’il y avait énormément d’activité dans l’Atlantique Nord et que les phénomènes étaient plus puissants que ce qui était prévu. La route nord signifiait en plus trois-quatre fronts, des passages de centre anticyclonique et ensuite la traversée de l’anticyclone pour descendre vers la Martinique, donc beaucoup plus d’incertitudes. Et plus de risque de casse matérielle, d’ailleurs on a vu que, à part SNSM, ils ont tous cassé des choses au nord et ça les a ralentis. Pour ce qui est du sud, la grosse difficulté était le passage de la dorsale après Madère, mais derrière, tu rejoignais des alizés bien établis. En plus, on avait un bateau plutôt typé portant, on était assez sereins sur ses capacités dans ces conditions. Tout ça a fait pencher la balance pour le sud, même si la route était beaucoup plus longue (presque 700 milles réellement parcourus de différence à l’arrivée).
“C’était un peu les montagnes russes !”
G.P. : Le point clé était de passer la dorsale le plus rapidement possible, car une fois que tu chopais les alizés, ça partait par devant. A ce moment, j’ai mis l’accent pour qu’on mette le paquet afin qu’on soit les premiers à sortir de la dorsale, c’est ce qui s’est passé et on a réussi à creuser.Ça veut dire quoi mettre le paquet ?
G.P. : Demande à Cédric !
C.C. : On a eu une divergence dans cette descente dans le sud : on avait un peu sous-estimé ce qu’on allait prendre dans la tête, ça a été d’une violence rare. A un moment, on a perdu 15 milles dans un nuage, on a charbonné toute la nuit, c’est un miracle qu’on n’ait rien cassé. En fin de nuit, il restait deux-trois heures de vent fort, j’ai dit à Guillaume : “C’est bon, on est revenus, on va mollir un peu.” Là, il m’a répondu : “Non, on continue, le bateau s’est fait défoncer sur la Québec-Saint-Malo l’année dernière, il a tenu, j’ai confiance.” Il m’a convaincu qu’il fallait continuer d’être à fond de cinquième, je pense que ça a été un moment-clé, parce qu’on a réussi à sortir en très bonne posture de ces conditions très difficiles et on savait que derrière, les premiers allaient être les mieux servis. Le deuxième moment-clé, c’est deux jours après les Canaries : on fait un énorme planter dans une mer horrible, notre spi médium se déchire, on se retrouve juste avec le grand et le petit. Et là, on a su s’adapter à cette nouvelle donne, on a passé notre temps à alterner les deux et réussi à masquer l’absence du médium, qui était la voile du temps, en faisant de super angles.
On imagine que vous avez passé beaucoup de temps à faire des routages nord-sud…
G.P. : C’est sûr que c’était un peu les montagnes russes ! A chaque routage, je routais aussi SNSM. Au départ, ils donnaient le groupe du nord gagnant ; à dix jours de l’arrivée, nous avec une journée d’avance ; à cinq jours, la porte du nord s’est rouverte, et ensuite, ça changeait tous les jours. Mentalement, ça impactait pas mal, d’ailleurs, à deux jours de l’arrivée, j’ai arrêté un moment de les router, parce que ça me saoulait et je me disais que de toute façon, on ne pouvait pas contrôler ce qu’ils faisaient. En même temps, ça montrait qu’il ne fallait vraiment pas lâcher, on s’est dit plusieurs fois que ça allait se jouer à quelques minutes près, mais sans doute pas à ce point, le scénario a été assez fou !
“Une sorte d’état de grâce
du début à la fin”
G.P. : Vraiment à la toute fin. On les avait récupérés à l’AIS au sud de la Martinique, c’était vraiment chaud parce qu’ils étaient bien revenus, on n’était pas sûrs que ça le fasse. Après, on a vraiment bien navigué sur le tour de la Martinique, on a récupéré du terrain, et au Diamant, on a commencé à se dire que ça pouvait le faire, même s’il restait l’incertitude du relief de la Martinique. Au passage de ligne, on s’est dit que ça sentait bon, mais c’est vraiment un quart d’heure après le passage de la ligne qu’on a compris qu’on allait gagner.Cette victoire est-elle votre plus belle ?
C.C. : Entre entre faire deuxième du Mondial de TP52 (cette année avec Paprec), troisième de la saison des 52 Super Series et gagner la transat en Class40, je ne sais pas comment hiérarchiser. Par contre, c’est la plus impactante : après le Mondial de TP52, j’ai dû recevoir quatre textos, là, j’ai jeté mon téléphone dans le bateau parce que je n’arrêtais pas de recevoir des alertes ! A côté de ça, il y a une émotion particulière, parce qu’au départ, on n’aurait pas dû la courir ensemble. L’idée était que je passe le relais à un jeune, on avait d’ailleurs eu un sentiment d’amertume et de tristesse il y a deux ans, parce qu’on pensait qu’on allait arrêter sur un résultat décevant. Et finalement, à cause de l’épisode de la foudre (voir notre article), cette passation a été décalée. Le fait d’avoir réussi à remonter la pente, de s’être vu offrir une seconde chance et d’arriver à la saisir, avec Guillaume qui est quelqu’un d’important dans ma vie, c’est une super belle revanche !
Et toi Guillaume ?
G.P. : Même si on partait avec l’ambition de gagner, il y a un monde entre être capable et réussir à le faire. On a été dans une sorte d’état de grâce du début à la fin, donc pour moi, c’est clairement ma plus grosse victoire et celle que j’attendais depuis un moment.
Photo : Jean-Louis Carli / Alea