Disputée en une seule étape, entre les Canaries et la Guadeloupe, la 25e édition de La Boulangère Mini Transat a été remportée par Mathis Bourgnon en proto et Paul Cousin en série. Sailorz en dresse le bilan avec l’architecte David Raison, Julie Simon, participante à la Mini Transat 2021 en série, Pierre Le Roy, vainqueur en proto la même année, Romain Bigot et Mathilde de La Giclais, respectivement président et vice-présidente de la Classe Mini 6.50.
Premier fait marquant de cette édition 2025 : après l’annulation de la première étape en raison des conditions météo, tout s’est joué sur le second acte, entre Santa Cruz de La Palma (Canaries) et Saint-François (Guadeloupe). “Dans le scénario, cela change tout car selon les écarts constatés sur l’étape 1, on ne s’élance pas dans le même état d’esprit pour la suite, analyse Julie Simon. Les marins qui étaient bien partis ont pu être déçus de cette interruption. À l’inverse, ceux ayant subi des avaries ont pu retrouver toutes leurs chances, car les compteurs ont été remis à zéro. En tout cas, cela avait le mérite de clarifier les choses : le premier arrivé en Guadeloupe gagnait l’épreuve.”
Pierre Le Roy tempère : “De toute façon, c’est toujours l’étape 2 qui se révèle décisive. Pour beaucoup, c’est nouveau de jouer sur un terrain de jeu aussi large, pendant aussi longtemps. Après, c’est vrai qu’avoir une seule étape peut accroître le niveau de stress et pousser à davantage attaquer pour faire la différence. Cela a sans doute été le cas pour Benoît Marie, qui n’a pas pu commencer à creuser l’écart sur la première étape [il était nettement en tête au moment où a été annoncée l’annulation, NDLR].”
Proto : Mathis Bourgnon opportuniste
Donné ultra favori en proto avant le départ sur son proto à foils Nicomatic-Petit Bateau, ce dernier a longtemps tenu son rang, battant notamment le record des 24 heures en Mini 6.50 (352,6 milles, à 14,69 nœuds de moyenne). “Quand Benoît a accéléré dans les alizés, on a pensé que ça pourrait faire très mal, raconte Romain Bigot. On savait que la casse matérielle était la seule chose qui pourrait l’empêcher de gagner. Malheureusement pour lui, c’est ce qui s’est produit.” Casse du puits de foil, voie d’eau, bout-dehors inutilisable : le skipper n’a pas été épargné par les problèmes sur son plan Manuard innovant et puissant.“Cela n’enlève rien à son talent et aux qualités de son bateau, insiste David Raison. Ce qu’il entreprend avec Caroline Boule, c’est l’Everest par la face Nord, un projet techniquement très complexe à porter. Il ne manquait pas grand-chose pour réussir.” Après sa victoire acquise en 2013, déjà en proto, le marin n’a donc pas réitéré douze ans plus tard.
Son malheur a fait le bonheur de Mathis Bourgnon (Assomast), dont nos experts soulignent la performance remarquable. D’abord parce que le Suisse de 28 ans a réussi à s’accrocher à bord de son plan Etienne Bertrand de 2017 pour suivre le rythme de Nicomatic-Petit Bateau, ensuite en faisant preuve d’opportunisme pour dépasser Benoît Marie en toute fin de course et s’imposer… 30 ans jour pour jour après la victoire de son père, Yvan !
“On peut gagner avec un petit budget”
“Benoît s’est démené, mais cela devenait impossible de résister. Il a tout de même démontré un grand fair-play, salue Mathilde de La Giclais. La victoire de Mathis démontre qu’on peut gagner avec un petit budget et un projet plus roots. C’est aussi ça la beauté de la Mini.” Julie Simon ajoute : “J’ai été agréablement surprise par les vitesses moyennes maintenues par Mathis tout au long du parcours. En mettant plus d’intensité que les autres, en ne levant jamais le pied, il s’est créé l’opportunité de gagner.“Après quatre victoires consécutives de protos signés David Raison sur la Mini Transat, l’architecte doit cette fois se contenter de la troisième place, décrochée par Alexandre Demange (DMG Mori Sailing Academy 2), derrière un plan Vector et un plan Manuard. “Quand on a vu Benoît ralentir, on y a cru fort. Malheureusement, Alexandre a pris une option sud qui ne s’est pas avérée payante. Il est bien revenu par la suite, mais pas suffisamment pour gagner”, commente David Raison.
Les mésaventures subies par Benoît Marie ont empêché la première victoire d’un foiler sur la Mini Transat, mais ce n’est que partie remise d’après nos spécialistes. “Le débat de savoir s’ils vont plus vite est clos, assène Pierre Le Roy. On constate que le concept fonctionne au large sur de longues périodes. C’est désormais une question de fiabilisation. Quand de telles nouveautés arrivent, il faut du temps pour les éprouver, on l’a vu dans d’autres classes comme l’Imoca. C’est plus long en Mini, car les projets ont moins de budget et les skippers sont moins nombreux à naviguer sur des foilers.”
Série : les favoris à la hauteur
Paul Cousin (AFP-Biocombustibles), Quentin Mocudet (Saveurs et Délices), Amaury Guérin (Groupe Satov) : en série, le podium était attendu, les têtes d’affiche des courses d’avant-saison ont répondu présent. “Niveau stratégie, il y avait moins de nœuds au cerveau à se faire que sur les dernières éditions, note Julie Simon. Le premier tronçon jusqu’au Cap Vert, dans peu de vent, a été essentiel. Il fallait bien se positionner avant de mettre cap plein ouest et d’entamer une sorte de long tout droit. Certains ont voulu plonger vers le sud et ça n’a pas vraiment marché pour eux.”Romain Bigot abonde : “Le jeu était moins ouvert que d’autres années, avec une flotte très compacte. C’était plutôt un exercice de vitesse, de petits recalages et, sur la fin, de gestion des grains qui ont parfois été très violents.” Paul Cousin a donc été le plus efficace. “C’est un gagnant incontestable. Malgré la pression de ses concurrents, il a réussi à accroître son avance au fil des pointages, pour arriver 75 milles devant le deuxième. Paul est un gros bosseur, son niveau d’engagement est extrême. Il ne laisse pas de part au hasard”, explique Mathilde de La Giclais.
La lutte pour compléter le podium a été intense et c’est finalement Quentin Mocudet qui a décroché la deuxième place, moins d’une heure devant Amaury Guérin, troisième malgré un début de course en demi-teinte au départ des Canaries, puis la perte de son précieux spi max. “Quentin était un prétendant au podium, il a fait une super course et s’est donné à fond pour tenir le rythme des gars derrière lui, il a respecté son contrat, c’est super !” admire Romain Bigot.
Un top 10 intégralement
composé de plans Raison !
En série, la domination du Maxi 650, un plan Raison, a été écrasante, puisque les dix premiers du classement naviguaient sur ce bateau. “On a fait un gros squat ! sourit David Raison, forcément ravi d’une telle hégémonie. Des Maxi 650 avaient gagné en 2021 avec Hugo Dhallenne et en 2023 avec Federico Waksman, mais c’est un gros gap d’occuper tout le top 10. C’est sympa pour le bateau et le chantier [Idbmarine]. Autre bonne nouvelle : je n’ai pas de retour de grosse avarie.”Comment expliquer cette suprématie ? “La série a été largement diffusée et les meilleurs coureurs se sont tournés vers les Maxi 650. Il en résulte une dynamique de groupe favorable qui tire tout le monde vers le haut, répond l’architecte. Par ailleurs, les conditions ont été favorables aux Maxi sur la course, avec de la pression, mais pas trop non plus. D’autres types de bateaux sont rapides dans ces cas-là mais ils sont plus difficiles à mener sur la durée.” Julie Simon corrobore : “Dans les alizés, la stabilité de ce scow est remarquable, cela permet de mieux gérer son repos et donc sa course.”
Si les vainqueurs sont forcément mis en avant, nos experts tiennent enfin à saluer tous les marins au départ et à l’arrivée de la Mini Transat qui, du fait de son concept basé sur des moyens de communication très limités, marque beaucoup celles et ceux qui y prennent part. “Chacun vit son aventure et sort avec des étoiles dans les yeux, confirme Romain Bigot. Il faut garder cet esprit et cette course telle qu’elle est. Elle transforme les gens, c’est beau à voir.”
Photo : Vincent Olivaud