Alexia Barrier a présenté mardi matin au musée national de la Marine l’équipage de six navigatrices qui l’accompagnera à partir de mi-novembre à bord d’Idec Sport sur le Trophée Jules Verne. L’occasion pour Tip & Shaft de raconter l’histoire, semée de quelques embûches, de The Famous Project CIC.
Le projet a débuté quelques jours avant le départ du Vendée Globe 2020 d’Alexia Barrier, comme cette dernière nous le rappelait en juillet dernier dans le podcast Pos. Report : “J’étais à l’étage de notre maison aux Sables d’Olonne, j’appelle mon sponsor de l’époque [TSE] pour lui demander quelles sont ses intentions après le Vendée Globe. Je lui parle de mon envie de faire du trimaran, lui me dit qu’il veut refaire un Vendée Globe, je réfléchis deux minutes, je me dis : “OK, ça peut être cool aussi de repartir sur un Vendée Globe” et je m’aligne intellectuellement dessus.”
A l’issue de son tour du monde, la navigatrice commence à plancher sur le projet, qui tombe vite à l’eau : “Au bout de six mois, j’apprends que mon partenaire, pour des problématiques internes, ne peut plus continuer. Je me rends alors compte que je n’étais en fait pas alignée avec cette idée de Vendée Globe et que je voulais vraiment faire du trimaran.”
Elle se met alors à imaginer un projet de Trophée Jules Verne, “qui me faisait rêver depuis toute petite”, et constate, en étudiant l’histoire du tour du monde, qu’à part Tracy Edwards en 1998 et Ellen MacArthur cinq ans plus tard, la place des femmes y est réduite à portion congrue, d’où l’idée d’un équipage 100% féminin. On est alors fin 2021 et la Méditerranéenne commence à sonder quelques navigatrices – Marie Riou, Elodie-Jane Mettraux, Dee Caffari… – qui “répondent oui en trois minutes”. Elle officialise son projet début 2022, qu’elle baptise The Famous Project, et reçoit “300 candidatures de partout dans le monde, Etats-Unis, Japon, Corée, Algérie… “, qui la confortent dans l’idée de poursuivre l’aventure.
Des rencontres décisives
Elle n’a alors ni bateau, ni budget, jusqu’à ce que, le 14 avril 2022, elle participe à une conférence dans le cadre du Club du Large, fondé par OC Sport Pen Duick et le CIC, à Montpellier. “Je ne savais absolument pas à qui j’allais m’adresser, il s’est avéré que l’audience était composée de personnes du CIC et notamment de Daniel Baal, son président. J’ai évoqué mon projet et à la fin de la conférence, il me tape sur l’épaule et me dit : “On va te soutenir”. Je me suis dit que comme souvent, quand je vais rappeler, il va me demander comment je m’appelle, mais non, c’était pour de vrai. On s’est tapé dans la main et le CIC est devenu partenaire fondateur du projet !”“Lors de cette conférence, Alexia a dégagé une force incroyable, son projet a aussitôt fait tilt chez nous, confie de son côté Daniel Baal. D’abord pour sa dimension entrepreneuriale, ensuite parce que nous sommes une entreprise à mission et, à ce titre, nous avons un certain nombre d’engagements, dont celui de permettre aux hommes et aux femmes d’avoir la même place au sein de la société.” Ce soutien, en plus de celui de Richard Mille, permet à la navigatrice de louer puis acheter un MOD70 sur lequel, à partir de fin 2022, elle découvre la navigation en multicoque et commence à tester la trentaine de femmes présélectionnées, chapeautées par des mentors comme Sidney Gavignet ou les Britanniques Brian Thompson et Jonny Malbon.
En octobre 2022 au départ de la Route du Rhum, elle rencontre par ailleurs Patrice Lafargue, PDG du groupe Idec, auprès duquel elle évoque la possibilité d’acheter le trimaran Idec Sport de Francis Joyon. “J’ai tout de suite été sensible à son projet, explique Patrice Lafargue. La seule chose sur laquelle on n’était pas d’accord, c’est qu’elle voulait acheter le bateau, alors qu’il n’était pas à vendre.” Ce dernier accepte donc de mettre pour trois ans le plan VPLP, détenteur du Trophée Jules Verne, à disposition d’Alexia Barrier, qui reçoit par ailleurs en septembre 2023 le soutien d’un autre partenaire d’envergure, Wipro.
“Passer sous les 50 jours”
Ce qui permet à l’équipe d’engager fin 2023, sous la responsabilité d’Eric Lamy, un long chantier de remise à neuf du bateau sur un terre-plein du chantier Multiplast. Idec Sport est mis à l’eau fin mai 2024… mais se retrouve aussitôt dans l’impossibilité de naviguer ! “Deux semaines après, j’apprends que Wipro quitte le projet suite à un changement de direction ; du jour au lendemain, on ne fait plus partie de la photo, raconte la skippeuse. J’ai tiré le frein à main et je me suis mobilisée à 100% sur la recherche de fonds.”La quête va durer quasiment dix mois jusqu’à ce qu’Alexia Barrier, grâce à l’entremise du CIC, obtienne un rendez-vous en avril 2025 chez Sopra Steria, groupe qui, sous le nom de Sopra Group, avait participé à l’aventure des Orma de 2001 à 2010, auprès de Philippe Monnet puis Antoine Koch. “Je rencontre le président-fondateur, le CEO et la dircom, j’ai tout de suite senti que la voile leur manquait. Deux semaines plus tard, je recevais une réponse positive, à la fois comme partenaire majeur et partenaire technologique”, sourit Alexia Barrier.
Interrogé par Tip & Shaft, Eric Pasquier, vice-président de Sopra Steria, confirme : “On avait vécu la période 2001-2010 avec passion et depuis, nous étions orphelins. On ne se voyait pas être de nouveau armateurs, on n’avait pas trouvé la bonne fibre, le bon moment ou la bonne rencontre, quand Alexia nous a exposé son projet, nous avons été conquis immédiatement.” L’adhésion de Sopra Steria, qui s’accompagne dans le même temps d’une “montée en puissance” du CIC, passé de partenaire majeur à partenaire titre, permet dès lors à Alexia Barrier de remettre la machine en route, même si elle cherche encore à boucler un budget annuel de 3 millions d’euros – il est aujourd’hui de 2,3 millions.
Idec Sport a enfin pu naviguer fin juin, ce qui a permis à la skippeuse de finaliser la composition de l’équipage, dévoilé mardi. Le début du stand-by pour le Trophée Jules Verne est prévu mi-novembre – le routeur à terre sera Christian Dumard – avec “l’objectif premier d’être le premier équipage féminin à boucler un tour du monde en équipage sans escales“, Alexia Barrier ajoutant : “On sait qu’on n’a pas l’expérience des grandes équipes Ultim, on veut se rapprocher le plus possible du temps de Francis (40 jours 23 heures et 30 minutes), si on arrive en dessous des 50 jours, ce serait génial.”
Et après ? “La plupart des partenaires sont engagés jusqu’en 2027, donc le projet va continuer, répond-elle. L’idée est de passer à un équipage mixte, avec des records et/ou l’intégration dans le calendrier de la classe Ultim si elle s’ouvre à l’international et à l’équipage, ce qui pourrait motiver mes partenaires.”
Photo : Robin Christol