American Magic

Dimitri Despierres : “Une déception de ne pas continuer avec American Magic sur la Coupe”

American Magic a annoncé mardi 28 octobre qu’il ne participerait pas à la 38e Coupe de l’America en 2027 à Naples. Pour en savoir plus sur ce retrait, Sailorz a échangé avec l’ingénieur français Dimitri Despierres, responsable du département mécatronique du défi US.

Comment avez-vous appris cette décision ?
Par une visioconférence, 24 heures avant l’annonce, qui a réuni le « core group » (noyau dur) d’une quarantaine de personnes qui continuaient à travailler depuis la fin de la Coupe et jusqu’en juillet, essentiellement pour du design sur les outils de conception, mais également les boat-builders encore en activité dans la base de Pensacola. Doug (DeVos, le propriétaire du défi) nous a expliqué les tenants et les aboutissants de cette décision de ne pas aller de l’avant dans la Coupe de l’America.

Est-ce que cela a été une surprise ?
On savait depuis fin juin que la question de la participation se posait, dans la mesure où celle-ci était soumise à ce qu’un Partnership soit établi – ce qui a été le cas avec les récentes annonces. Sachant que c’est Doug DeVos qui, au cours de la dernière Coupe et à la fin, avait réuni les challengers pour que l’épreuve se professionnalise et se commercialise encore davantage, afin qu’elle devienne plus viable financièrement pour les participants. On savait que c’était du 50/50 et quand tu vois le temps passer, tu comprends bien que si tu n’es pas à fond pendant que Prada (Luna Rossa) ou Team New Zealand le sont, tu ne fais que prendre du retard. Donc à un moment, j’ai commencé à avoir de gros doutes, mais j’avais quand même du mal à croire qu’on n’allait pas y aller, dans le sens où dans les nouvelles règles, je ne voyais pas d’obstacle à ce qu’on puisse être compétitifs pour la prochaine édition. Quand tu as ces assets (actifs), que tu n’as pas à construire de carène, mais « juste » à fabriquer des foils, avec en outre la possibilité d’être compétitif au niveau des navigants, tu te dis que la Coupe ne va finalement pas te coûter grand-chose, donc tu demandes pourquoi tu n’y vas pas.

Et avez-vous justement eu les réponses ?
Il faut comprendre que lors de la première campagne d’American Magic, il y avait trois financiers, Doug DeVos, Hap Fauth et Roger Penske, issu de l’IndyCar. Pour la deuxième, sur la 37e Coupe, ce dernier s’était déjà retiré, et à la fin, on a bien compris que Hap Fauth ne ferait pas partie de la campagne suivante, il est assez âgé (bientôt 80 ans), a beaucoup donné et voulait tourner la page. Donc Doug se retrouvait seul. Les Américains ont peu la culture d’aller chercher des sponsors, ils sont plus dans la démarche de trouver des alliés millionnaires ou milliardaires dans leurs réseaux du New York Yacht Club ou dans leur business. Je pense que Doug DeVos n’a pas trouvé cet allié et il ne s’est pas senti d’y aller sans avoir la certitude financière de faire la 38e et la 39e, car l’une n’allait pas sans l’autre. Pour autant, il nous a bien assurés que les assets actuels restaient chez American Magic et n’étaient pas en vente. Même si rien n’est décidé, il n’est d’ailleurs pas exclu qu’il y ait un équipage féminin sur la Women’s America’s Cup à Naples, voire un équipage sur la Youth. Maintenant, s’il n’y a pas d’équipe américaine sur la 38e, ce sera la première fois depuis la création de l’événement en 1851…

“Je pense qu’on était
sur une pente ascendante”

Cela veut-il dire que cette décision n’est pas liée au lancement officiel d’America’s Cup Partnership (nouvel organe de gouvernance, y compris commerciale, de la Coupe, dont chaque défi est actionnaire), et le nouveau calendrier ?
Il y a peut-être des points qui ne nous ont pas été expliqués. Encore une fois, Doug a été à la base de ce Partnership. Jusque-là, quand tu ne gagnais pas la Coupe, tu te retrouvais sans rien. Donc Doug, mais aussi Ernesto (Bertarelli, patron d’Alinghi), ont voulu mettre en place quelque chose pour que tous les défis soient actionnaires et parties prenantes des décisions. L’idée était de dire : “Ne soyons pas des perdants, mais tous des gagnants.” Pourquoi ont-ils finalement considéré que ce n’était pas suffisant ? Je ne connais pas la réponse, mais en tout cas, on n’a pas eu d’éléments concrets du Partnership qui auraient été des points bloquants.

Est-ce une déception pour toi ?
C’est une déception de ne pas continuer avec American Magic parce que de mon point de vue, on avait un super groupe et je pense qu’on était sur une pente ascendante qui pouvait se transformer en quelque chose de très bien sur la 38e. Donc j’ai forcément un goût d’unfinished business, comme on dit en anglais. Maintenant, d’un point de vue personnel, je suis loin d’être le plus mal loti, j’ai la chance d’avoir déjà énormément de travail et de demandes, auxquelles je ne peux d’ailleurs même pas répondre.

Justement, ton téléphone a-t-il sonné depuis l’annonce mardi ?
(Rires). Il sonnait avant et il continue de sonner ! Cela concerne des projets hors Coupe, car j’ai attendu la décision d’American Magic pour discuter avec d’autres équipes. Maintenant, si ta question est de savoir si mon implication dans la 38e est possible, je te dis oui. Je reste très intéressé par le fait d’essayer de gagner la Coupe avec un challenger, d’abord parce que je suis toujours aussi passionné, ensuite parce que je ne me vois pas rater cette édition à Naples qui va être encore une fois hyper intéressante.

“SailGP prend des parts de marché”

Pourrait-on te voir retourner au sein d’un défi français ?
Ça dépendrait beaucoup des personnes à la tête de ce défi français.

Et l’actuel ?
Non, je ne pense pas.

Tu parlais d’autres projets hors Coupe sur lesquels tu travailles, peux-tu nous en dire plus ?
Je collabore sur des projets qui courent en partie jusqu’à quasiment 2028/2029, je me suis pour cela engagé au minimum jusqu’à 50% de mon temps, même si tout est toujours discutable. Je peux juste dire deux choses : l’un est avec la société Caponetto/Hueber, le deuxième concerne la course au large en Ultim.

American Magic s’est donc retiré, sans doute aussi Alinghi, on ne voit pas arriver de nouveaux défis, comment l’expliques-tu et faut-il s’inquiéter pour l’avenir de la Coupe ?
Aujourd’hui, on ne peut pas dire que la Coupe coûte plus que sur la précédente édition ou lorsqu’elle était en monocoque. Pour être présent sur la prochaine édition à Naples, c’est 70 millions d’euros maximum. A côté de ça, une licence sur SailGP, c’est 30 millions d’euros, on comprend bien que ce circuit est en train de prendre des parts de marché et que si on ne fait rien, dans quelques années, il n’y aura plus beaucoup d’intérêt pour la Coupe. C’est une épreuve qui permet beaucoup plus de développement et a plus d’aura, mais elle est clairement en compétition et aura du mal à vivre si elle ne va pas au-delà du public qui s’intéresse à la voile. Même quand je croise des gens qui suivent la voile, je constate une confusion totale entre les deux épreuves, parfois, ils ne savent même pas sur quel support se dispute la Coupe. Il y a un vrai problème de communication, avec en plus, un concurrent qui a une fréquence plus élevée puisqu’il revient tous les ans. Donc la Coupe a besoin de se réinventer, même si, personnellement, je reste persuadé que c’est un super événement, dans lequel on voit des choses qui n’existent nulle part ailleurs.

Photo : American Magic

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